top of page

III. Art Pariétal

  • Photo du rédacteur: MalaHata
    MalaHata
  • 12 mai 2024
  • 11 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 mai 2024

Nous avons tendu nos mains parce qu’est apparue en nous l’envie de questionner le néant, d’en mouvoir les eaux d’un geste qui pour la première fois a semblé écrire «j’existe».    C’est en tout cas ce que semblent dire ces mains négatives. Là, se dessine par un souffle d’ocre rouge, le vide laissé par ce qui n’a qu’un temps. Voulaient-elles dire «moi aussi, je fais partie de ceux qui laissent leur marque dans la grotte» ? 

Au nord de la péninsule ibérique, le Monte Castillo abrite, cachées dans sa masse calcaire, des galeries d’art paléolithique occupées il y a près de 150 000 ans par les Hommes de Néandertal, puis décorées il y a 40 800 ans par les Homo Sapiens.

«Ses plus de 275 figures, toutes correspondant à l’aube de la présence de l’Homo Sapiens en Europe, représentent un passage souterrain par les origines de la pensée symbolique, la pensée abstraite et l’expression artistique.» (18).

Il y a, déjà au Paléolithique, des notions de parcours très subtiles, l’usage du clair-obscur, un art de la mystification symbolique.   Bien qu’il s’agisse d’une cavité naturelle, le choix des espaces, comme leur qualification par les interventions artistiques, est loin d’être anodin. La grande surface qu’offre la paroi à gauche de l’entrée, après le vestibule, ne comporte aucune fresque. Les panneaux peints appartiennent exclusivement au royaume de la nuit. Là où il faut s’attarder, se retourner, explorer les recoins pour mériter les y découvrir : points,  lignes, paumes de mains, animaux (chevaux, bisons, biches, aurochs, cerfs, chèvres, ainsi qu’un mammouth). Ces représentations sont exprimées au travers de diverses méthodes, parfois associées : peinture, gravure, sculpture peinte. Au milieu de tout cela, ont également été retrouvées des os travaillés et des bois de cerfs.

En s’associant aux animaux dont il observe le comportement et dont il ingère la viande, l’être humain ne cherche-t-il pas sa place dans le monde ? En ce temps-là, dans les cavernes surplombant les vallées, il trouve un support à son questionnement. Il y réfléchit, retiré du monde, pensant en monde, tandis qu’il dessine. Car de tels dessins ne sont pas hasardeux et, en les marquant sur la matière qui lui a survécu, en livrant son regard, notant par l’image ses questions, il a écrit les premiers mots de notre identité. 

«A cette époque tout comme aujourd’hui, les hommes, après avoir mangé, se sentaient contentés. Ce (...) devait être, pour nos ancêtres, (...) la sensation d’avoir acquis la force de l’animal dont ils avaient consommé la viande. Le repas était l’acte à travers lequel se réalisait la symbiose des esprits, la complétude, et qui se concrétisait par l’intégration de l’esprit de l’animal dans le corps de l’homme. [...] Les nombreux cas de représentations anthropomorphes, avec des masques d’animaux, ou d’être hybrides antropo-zoomorphes, dans l’art des chasseurs archaïques, attestent de façon spectaculaire cette recherche de symbiose.» 6.

La grotte Chauvet connut deux périodes d’occupation : l’une à l’Aurignacien (il y à 32 à 30 000 ans) et l’autre au Gravettien (il y a 27 à 25 000 ans). Divers indices mènent les archéologues à penser que les occupations de la grotte ont été brèves mais répétées. Était-ce un endroit où l’on venait en pèlerinage afin d’éprouver un sentiment d’identité commune ? Sur de nombreuses parois ont été décelés des redessins et rajouts, très éloignés dans le temps. Finalement, la grotte Chauvet, loin d’être l’oeuvre isolée de quelques occupants, est le recueil d’un dialogue millénaire entre des êtres qui ne se sont jamais parlé qu'au travers de l'oeuvre qu'ils poursuivaient.    L’espace est perçu, reçu, conçu, exprimé. Et, au cœur de tout ces échanges, ce n’est pas l’individu que l’on trouve, mais nos re-semblances. C’est notre regard, dans la manière qu’il a de cultiver la métamorphose.

Alors, avant de l’orner, qu’ont pu percevoir ceux qui ont découvert la grotte Chauvet ? Quels espaces, quel parcours ?     Dans la salle Brunel, avec son grand volume, ses surfaces dentelées et complexes,  les peintures semblent discrètes, se composent avec le chaos. Comment cet espace qui ne menait pas aux autres était-il perçu ? Était-ce une sorte de cathédrale, de premier lieu ? 

“Ces panneaux ne sont pas situés au hasard. Certains sont visibles de loin, tandis que d’autres se trouvent dans des recoins d’accès difficiles (...). Mais ils ont tous en commun de tirer parti de la topographie particulière des lieux, parfaitement perçue par les hommes préhistoriques, et qui théâtralise leur mise en place.” Dominique Baffier et Valérie Feruglio 21.

La salle des Bauges, par sa large horizontalité, donne quant à elle l’impression de se faufiler sous la masse de la montagne. D’après Yanik Le Guillou, elle était, juxtaposée à la salle d’entrée et clair-obscure, une sorte de hall. Certains dessins y soulignent les passages vers les salles suivantes, les premières empreintes d’un chemin à suivre. 

    « Du chaos des salles d’entrée, on passe à une vaste galerie d’une cinquantaine de mètres de large, au sol parfaitement plat : la salle des Bauges. Son plafond est sculpté par de profondes coupoles, [...]. Elles contrastent avec la planéité d’une partie du plafond. » Delannoy, Debard, Ferrier, Kervazo et Perrette 21.

La salle du Cierge, nous plonge dans une atmosphère énigmatique, un espace où les limites, vibrantes, le vide et les objets ne font qu’un avec la montagne. Auparavant il y avait là des bassins construits par les Paléolithiques destinés à recueillir l'eau qui s'écoulait. Mais cet écoulement s'est aujourd'hui matérialisé en un grand concrétionnement central unissant le sol et le plafond.     

«Dans la partie occidentale, le sol argileux présente de nombreux témoins paléontologiques : empreintes d’ours, de loup, et bauges. Dans cette salle, la base d’un pendant de plafond a été cassée pour aménager en escalier la rampe argileuse menant à la salle Hillaire. La salle Hillaire et du Crâne appartiennent à une même galerie séparée par un rideau de vieilles stalagmites. C’est sur la paroi faisant face à ces concrétions que se situe le panneau des Chevaux. [...] La galerie des Croisillons [...]  se distingue du reste de la grotte par sa faible hauteur (1,50 à 3 m) due à la présence d’un puissant remplissage argileux. Celui-ci porte en surface les seules empreintes humaines actuellement connues dans la grotte ainsi que de nombreux témoins de l’occupation animale (empreintes, bauges, squelettes d’ours altérés).» Delannoy, Debard, Ferrier, Kervazo et Perrette 21.

Des foyers servant à produire la matière colorante, le charbon de bois, se situaient au fond de la grotte, dans la salle du Cierge et la galerie du Mégacéros, directement à proximité de certains panneaux. De plus, l’espace de la grotte a réellement été aménagé par ses occupants, avec un dallage de pierre et même ce qui apparaît comme une des premières marches d’escalier primitive :

“Des bris de stalactites et des accumulations de blocs en calcaire ou, plus fréquemment, en plancher stalagmitique démantelé ont été observés en plusieurs emplacements [, aux abords des zones ornées.] [...] “ils témoignent d’une accumulation et d’un transport intentionnels. [...] Au niveau du décrochement de 0,70m qui sépare la salle du Cierge de la salle Hillaire, le long d’un cheminement ancien marqué par le tassement du sol, le passage a été facilité par le transport d’un bloc volumineux qui fonctionne comme une marche d’escalier.” J.-M. Geneste. 21.

La grotte a donc non seulement été perçue comme un où lieu l’on pouvait être, que l’on pouvait marquer de sa présence, mais dont on pouvait aussi  redisposer la matière de manière à ce qu’elle s’accommode de notre parcours.   Par ailleurs, des ossements d’animaux sont singulièrement disposés :

«Un crâne d’ours des cavernes a été déplacé et volontairement déposé sur un rocher dans la salle du Crâne. Un autre a été marqué de traits noirs. D’autres, nombreux, ont sans doute été rassemblés dans la même salle. Non loin de l’entrée, deux humérus ont peut-être été plantés dans le sol. [...] La découverte par Michel Garcia d’une côte animale plantée dans une fissure de la paroi à hauteur d’homme à gauche de la galerie du Cactus, à proximité de la niche aux ponctuations, est indiscutable. [...]Avant, entre-temps et au-delà [des périodes d’occupation humaine] la grotte a semble-t-il toujours été fréquentée par les ours.» Jean-Michel Geneste. 21.

Dans le traitement particulier de ces crânes, y aurait-il une sorte de respect, d’identification à l’animal dont on partage la demeure ? Si d’autres bêtes s’aventuraient en ce lieu sombre, alors peut-être que sa valeur était universelle.

“La salle du crâne ressemble à un amphithéâtre, les “gradins” étant constitués de banquettes d’argile grise qui paraissent la ceinturer de toutes parts.” Carole Fritz et Gilles Tosello. 21.   Cette disposition rappelle celle d’un groupe d’individus entourant un feu de camp.  «[...] La galerie des Mégacéros débute par une succession de coupoles de plafond alignées sur une fracture qui domine un colmatage argileux. [...] La salle du Fond est exceptionnelle tant par ses formes naturelles (profondes coupoles de plafond) que par les fresques (les Grands Lions, panneaux des Rhinocéros, des Lions, des Bisons).» Delannoy, Debard, Ferrier, Kervazo et Perrette 21.

 L’humanité a, très tôt, manifesté de l’intérêt pour la séquentiation d’espaces clos. Qu’est-ce qui a bien pu nous amener à définir par ces contours-là ce qu’est un sanctuaire ? L’obscurité en plein jour ? Le relief ? Ou alors, sa dimension, que l’on pouvait s’approprier ? Voilà une grandeur à l’échelle de l’être humain, une que l’on peut mesurer avec son corps, alors que le monde au-dehors est si vaste qu’il n’a même pas de mesure, et qu’il n’est même pas grand, se contentant de dérouler sur le sol un territoire sans fin. Ici, c’est le ventre de la montagne, l’intérieur du paysage.

Une réponss des plus frappantes des plus évidentes à cette question est la géologie absolument fascinante de la grotte. Aucun espace, aucun dédale, aucun recoin n’y est semblable. Tout semble y être fait sur mesure afin d’y accueillir les conceptions de la conscience humaine et sa contemplation.

Une succession de salles nous emmène vers un repère secret et silencieux. Et afin de gagner le saint-des-saints de ce lieu mystérieux et vide, il nous faut nous engouffrer dans un boyau rocheux qui monte jusqu’à une crypte où, enfin, on découvre la plus impressionnante de toutes les fresques : celle qui semble nous conter le récit dualiste d’un monde.

“La salle du Fond comprend trois grandes parties. Partout, les voûtes sont impressionnantes, entre 5 à 6m jusqu’à une douzaine de mètres de haut, avec des retombées de pendants rocheux avec de belles surfaces claires. [...] La caractéristique majeure de la salle du Fond est son côté spectaculaire, pensé et construit.” p. 148 Jean Clottes et Yanik Le Guillou.

 

Le jour et la nuit, la vie et la mort, les proies et les prédateurs, le cheval et le bison, sont autant de  réalités auxquelles l’humanité à pu se confronter il y a 30 000 ans déjà. D’après l’anthropologue Joëlle Robert-Lamblin, cette ample fresque, dans la salle du Fond, pourrait révéler une appréhension dualiste de l’Univers chez les Hommes du Paléolithique.

Attardons-nous donc ici. Autour d’une cavité paraissant diviser la paroi en deux parties équilibrées, les artistes paléolithiques ont dépeint de grands mouvements observés dans la nature. D’une part, des lions en chasse, et, de l’autre côté d’une arrête marquée de noir, les herbivores. Mis à part deux rhinocéros, tous vont dans la même direction. Puis, à nouveau, des lions, plus grands. Selon les saillies de la surface rocheuse, les dessins associés ne sont pas les mêmes. Quel sens tout cela revêt-il ?

Je songe qu’il s’agit là de représenter le monde qui passe au dehors, d’apprivoiser les animaux sauvages sur les parois d’un espace secret. Les aspérités immobiles, les courbes qui s’y propagent, font merveilleusement écho avec le sens inaudible qui a choisi de suivre leurs lignes. Comme lui, elles se meuvent, figées pour l’éternité.   Lorsque l’on y songe, si ces grottes répondent si bien aux schémas de notre conscience, n’est-ce parce que c’est dans ces grottes que notre conscience a grandit ? L’écho de notre humanité, ce n’est pas là-bas qu’il se trouve. Il en vient, et perdure en nous-mêmes.

C’est 4 000 plus tard, à 200 km de Lascaux, que, au pied des falaises de Douce, la frise sculptée du Roc aux Sorciers fut façonnée.

Ici, les magdaléniens ont taillé dans les racines de la montagne, à hauteur de leur regard et en extérieur. On dirait qu’il l’ont ainsi décollée du sol en racontant la vie au travers d’animaux et de vénus paléolithiques, des reliefs autrefois peints. Bison, bouquetins, bouquetine, chevaux, félins, figures symboliques de femmes, ainsi que tête humaine ont été immortalisés dans le calcaire jurassique oolithique. Certaines figures sont partielles, simplement gravées, ou ont été retaillées, alors que l’on transformait un animal en un autre. De nombreux blocs de pierre ornés ont également été retrouvés sur site. Encore un chef d’oeuvre d’une remarquable unité artistique.

"De grands foyers en forme d’ellipse ont été individualisés par les fouilleurs. Un premier foyer [...], devant les Vénus, puis un deuxième, [...] devant les bouquetins [...] et un dernier [...], également devant les bouquetins mais plus en amont [...]. La question se pose toujours de la contemporanéité de la création et de l’utilisation de la frise sculptée avec l’occupation magdalénienne.» 27.

Il nous reste à imaginer ce à quoi pouvaient ressembler ces silhouettes près des foyers, vacillant sur leur relief à la lueur d’un feu de bois qui avait le pouvoir de transformer une paroi minérale en véritable livre vivant. 

L’art paléolithique naît d’un dialogue avec la nature. Nos ancêtres touchent l’abstraction du bout des doigts lorsqu’ils prennent peu à peu conscience de leur existence, de leur finité et cherchent des repères émotionnels dans le monde sauvage tandis qu’ils s’en détachent, et perdent leurs instincts.   C’est, selon moi, le détachement de l’espèce humaine qui en a fait ce qu’elle est ; le détachement de son regard qui, comparé aux à celui des autres animaux, n’est plus dans le monde, mais sur le monde. Conscients et curieux, ces yeux questionnent ce monde. Ils se cherchent peut être eux-mêmes dans les reliefs de la pierre, qu’ils ne dénaturent pas mais dans laquelle ils révèlent leur propre regard.

Un rocher ramassé au beau milieu de nulle part, dans lequel on trouve par hasard un visage, se transforme, par le seul regard, en un artefact mystérieux qui n’aura d’autre sens que celui d’exister et de nous accompagner, tout comme un semblable.   Puis, plus loin sur le chemin, la courbe d’une paroi devient le flanc d’un animal. L’artiste relie de ses mains deux perceptions, celle de la bête qu’il a vu courir et qui n’est déjà plus là, et celle de la roche dans laquelle il reconnaît l’esquisse de sa pensée et qu’il vient souligner, transformer d’un geste bien pensé. Il place aussi dans le lieu et la matière quelque chose d'immatériel, de ce qu’il a perçu et reçu au cœur de son esprit. Une chose si forte que même sans langage, elle nous parle encore aujourd’hui. C’est notre humanité.    Et par là je ne veux pas dire que les hominidés seraient supérieurs aux autres. Seulement que, dans chacune des choses qu’un autre être humain nous a léguées, il y a, et ce depuis toujours, une part de nous-mêmes. Et bien que cette expression puisse être millénaire, n’est-elle pas, en vérité, un écho si proche de nos oreilles ? N’est-elle pas et un souvenir si lourd dans le creux de nos mains ?

C’est par le regard que nous portons sur les objets qui nous entourent que, quantiquement, l’humanité a amené l’architecture à être une de ses réalités.   Notre relation au lieu conçu résulte d’une projection mentale faite dans l’espace et la matière, qualifiée, signifiée par notre intervention. Elle sera capable de toucher l’esprit de ceux qui nous suivront. C'est un langage.

Habiter le monde et interagir avec lui a conduit l’être Humain vers l’Architecture. Les modèles les plus classiques viennent d’une sub-conscience collective née dans les bois et les cavernes.   Par exemple, la notion d’un espace intermédiaire entre le monde du dehors et le monde du dedans date de la préhistoire. C’est la transposition d’une psychologie basée sur les phénomènes de la vie, appliquée à la spatialité. Les espaces sont perçus comme des séquences qui mènent l’une à l’autre. Ils font partie d’un voyage métaphysique du monde ouvert au monde souterrain.   Par ailleurs, l’acoustique et la résonance qui appartiennent aux cavernes a sans doute toujours été une qualité appréciée. Nos ancêtres pouvaient y jouer de leurs instruments de musique, comme au moyen d’une flûte taillée dans l’os d’une aile de vautour. Une dimension qui, sûrement, participait de l’atmosphère magique que pouvait revêtir le lieu à cette époque.

En définitive, ce qui nous différencie des autres animaux, c’est, seulement, notre désir d’écouter et de raconter des histoires. 



Bibliographie à recopier

Commentaires


sélectionnez un projet de recherche pour voir ses articles :

© Atelier MalaHata Graphisme

CONTACTEZ L'ATELIER :

Estelle

atelier.malahata@gmail.com

Suivez-moi sur les réseaux :

  • Grey Instagram Icon
  • Grey Facebook Icon
bottom of page