II. Sépulture
Pourquoi a-t-on commencé à enterrer les défunts ?
A un moment ou à un autre, l'être humain comprit qu’il n'était pas éternel, que le monde qu’il avait mis tant de temps à rencontrer et à comprendre pouvait bien le chasser dans celui, inconnu, des "éteints". Les morts devenaient aussi inertes que paraissait l'être le sol. La lumière disparaissait étrangement de leurs yeux, vers un ailleurs mystérieux. L’être aimé ne réagissait plus, n’était plus. Ses restes étaient encore précieux, mais en même temps monstrueux dans leur métamorphose et leur décomposition. Ils n'étaient plus du monde de ceux qui marchent. Était-ce là un retour à l'être "terre"? Piégés derrière une barrière opaque de choses qui ont été et d'où tout pousse à nouveau.
Le geste de l'inhumation, fondamental dans nos cultures, est l'un des plus symboliques qui soient. Il s'agit d'une ritualisation de la fin et de la marque d'une appartenance éternelle à un groupe de semblables. L'emplacement de la tombe, son creusement, la disposition des restes et des offrandes, tout ceci est la synthèse d'une conceptualisation du monde bien particulière manifestée dans un agencement physique de la matière. L'environnement est modifié, façonné, à des fins symboliques. Ce geste lie pour toujours les morts à un lieu, ce lieu devenant instrument de mémoire.
A une époque que l'on appelle le Moustérien, on observe les premières traces d'un comportement social vis-à-vis de la mort. Les plus anciens dépôts funéraires attestés sont ceux de Skhul (de -130 000 à -110 000 ans) et de Qafzeh (92 000 ans,+ ou - 5 000 ans).
Le site d’Es Skhul, au pied du Mont Carmel, présente une paroi étonnante, percée de cavités aux formes arrondies, tordues et béantes, comme des boyaux de la montagne.
Les grottes apparaissent peut-être dans l’imaginaire des humains du paléolithiques comme les portes d’entrée de ce monde souterrain. Elles sont le plus silencieux des milieux sauvages, comme un ventre clos. La, au fond, se trouve la limite infranchissable d'un infini d’inconnu. Un espace en dehors des espaces où seuls les morts, les idées et les créatures peintes sur la roche pouvaient se rendre. On suppose que ce seraient les plus anciens temples de l’humanité.
5 . ANNE-MARIE TILLIER, 2009L’homme et la mort, l’émergence du geste funéraire durant la préhistoireCNRS éditions, 178 pages
6 . EMMANUEL ANATI, 1995La religion des originesBayard éditions, collection Histoire, 166 pages
7 . MICHEL RAGON, 1981L’espace de la mort. Essai sur l’architecture, la décoration et l’urbanisme funéraires.Paris, éditions Albin Michel, 343 pages
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