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Présentation de soutenance de mémoire


J'ai choisi, pour mon mémoire d'Habilitation à la Maîtrise d'Œuvre en mon Nom Propre à l'ENSA Lyon, de traiter la question des sols, de leur valeur, et du rapport de l'architecture à ces sols. Une terre que l'on ne fait qu'emprunter et sur laquelle on laisse des empreintes.



Jusque là, j’ai travaillé essentiellement dans le secteur des Alpes du Nord.

Je suis, comme vous pouvez vous en douter, dans ce moment où mes idéaux se confrontent à la réalité du monde de la construction mais où je n’ai pas baissé les bras pour autant.



Comme je suis persuadée qu’on ne peut pas réellement comprendre une chose en ayant le nez fixé dessus, j’appréhende l’architecture de manière holistique, avec une méthodologie que j’appellerais de "curiosité cumulative".

Je suis dans une sorte de recherche perpétuelle. Je cultive des sujets de réflexion qui en vérité sont toujours liés à la construction humaine et à son rapport au monde. Entre autres l’archéologie, l’anthropologie préhistorique et contemporaine, la géologie, la vie du sol et des arbres.

Pour moi le mémoire a été prétexte afin de pousser plus loin encore des réflexions que j’avais déjà entamées avant, et à les rassembler. Des réflexions sur la morphogénèse, sur les mémoires du sol et le respect du vivant. Et à les confronter aux systèmes d’aujourd’hui.


Tout comme chacun de nous, je suis le produit du temps, et de l’époque qui m’a sculptée. Mon esprit et ma vision des choses ont été dessinées par les rencontres que j’ai faites et les pensées écrites dans lesquelles je me suis plongée. Je suis loin d’être seule à être profondément touchée par ce qui arrive à la terre et à vouloir autre chose. C’est ce qui me rassure dans la prise de conscience du désastre écologique que nous entretenons.



Chaque génération poursuit les questions lancées les générations précédentes, tout en mettant de côté certaines des certitudes qu’on lui a inculqué. Tout a l’air très ordonné dans nos sociétés contemporaines. Mais en même temps tout change extrêmement vite. D’importantes transformations sont en cours concernant notre rapport au reste du vivant. Elles avaient déjà émergé il y a des dizaines d’années mais leur importance atteint aujourd’hui un point critique. Les crises poussent d’ordinaire les sociétés à des transformations fondamentales. Mais leur métamorphose vers un schéma culturel plus respectueux des environnements est encore étouffée par la puissance des habitudes et la complexité des rouages qui font cohabiter les larges populations.


En tant qu’architecte, la question de l’avenir de la société et du bonheur de nos semblables est une question déontologique que l’on doit se poser. Encourager la formation d’un idéal de bonheur et de beauté plus frugal peut aussi être vu comme une part du colibri. La question du sol, de la terre et de notre empreinte sur elle reflète parfaitement notre séparation artificielle au reste du monde vivant et notre aspiration à contourner ses lois.


Nous avons peut-être poussé trop loin la technologie, le confort et la sécurité. Et si certains vivent encore à la poursuite d’un idéal futur digne de science-fiction, nous sommes aussi nombreux à vouloir ralentir, et chercher la parfaite fusion entre l’héritage scientifique de notre civilisation et une frugalité plus proche du vivant. Une des principales questions que je me pose ici, au fond, c’est : «comment faire quelque chose qui ait du simplement du sens dans ce monde complexe de requins ?» Je n’ai pas forcément encore trouvé la réponse comme on le verra bien.



Ici on se penche sur la phénoménologie du rapport au territoire et l'abstraction des limites que dessine sur lui le cadastre.


On retrouve cette opposition entre terre naturelle et surface abstraite dans la profession d’architecte.

Tandis que l’éthique architecturale renvoie au bien commun, au territoire, au contexte physique et immatériel, la pratique de la profession elle, est cadrée par les principes abstraits du foncier et de sa capitalisation à court et à moyen terme. Bien que le cadastre ait sa propre histoire, il reste un concept anthropocentré.



On pourrait discuter des formes urbaines, de leur étalement ou de leur densité. Mais ce que j’aimerais soulever ici c’est le morcellement du monde terrestre en domaines publics et privés. La multiplication des bâtiments et des routes contraignent le libre passage des espèces. Cela renvoie aux bestioles écrasées sur le bord de la route mais également au contrôle et à la segmentation des interstices de terre pleine entre deux zones artificialisées. Tout ce qui n’y est pas domestiqué par l’humain y est exclut, ou enfermé et taillé. L’artificialisation du sol ce n’est pas que son imperméabilisation. La question que je pose ici c’est : est-ce que la quête de la parfaite maîtrise de notre environnement ne nous a pas, finalement, coupé de lui ?



Le principe de maximisation de l'occupation du sol tranche avec l’idéal éthique d’insertion architecturale dans le site. Mais en même temps on comprend les gens.

On se retrouve coincés entre les exigences du maître d’ouvrage qui veut le plus possible pour le moins cher possible ; et le PLU qui applique des obligations relativement uniformes sur des terrains tous différents. Les terrains sont relativement chers et la possibilité de construction en hauteur est plutôt restreinte dans la région. Ce qui conduit à des terrassements ahurissants là où l’image bucolique voudrait qu’on s’inscrive dans les pentes en reliant l’architecture à son contexte géographique.

Comme je l’explique dans mon mémoire j’ai plusieurs fois eu ce cas de figure dans des projets qui devaient s’implanter dans les pentes. Le maximum d’emprise au sol est souvent le même peu importe la quantité de terre déblayée. Et les habitants veulent le maximum de surface pour rentabiliser leur terrain.


Je n’ai pas de solution toute faite non plus, on peut résoudre ou atténuer le problème différemment dans chaque cas. Mais alors que quand j’étais étudiante je trouvais cela intéressant de tout enterrer, maintenant le faire par défaut me déplait.


Et on voit bien que dans l’architecture vernaculaire ce n’était pas forcément la manière de procéder. Peut-être parce que les bâtiments n’étaient pas imaginés sur ordinateur avec une accumulation de contraintes abstraites, mais juste avec le terrain devant soi et en partant de besoins réels avec des solutions physiquement plus faciles. J’aimerais tester d’autres méthodologies de conception, à la façon de workshops sur site en apportant tout son matos. Moins pratique, mais peut-être très intéressant.



L’aménagement conventionnel de la ville est certes solide et pratique. Mais est-ce que c’est réellement le monde dans lequel on veut continuer de vivre ? Finalement ce sont des étendues de non-vie qui se supplantent à la vie terrestre.

Pour les vélos, les fauteuils roulants, les poussettes et les voitures, c’est essentiel d’avoir une surface régulière et plane. Mais est-ce que ces produits ne sont pas aussi conçus avec ce prérequis parce que la praticité du bitume est admise comme postulat quasi universel ? Est-ce que l’artificialisation doit forcément s’étendre sur toute la largeur du trottoir ?


Même si on commence à y penser, cela peut être absurde de se mettre à péter tout le bitume d’un coup. Il faudrait commencer par limiter l’artificialisation dans les nouveaux projets ou à l’occasion de restructuration, en expérimentant de nouvelles choses, et mettre à jour, par ailleurs, les PLU. Nous ne sommes pas en mesure de tout faire simultanément donc il faudrait certainement mieux faire preuve de bon sens.


Cessons de penser le sol comme une surface. Sur ce dessin si je devais faire retirer un morceau de bitume ce serait sûrement celui qui sépare l’arbre du champ. Et je donnerais un peu plus de place à l’arbre.

L’artificialisation du sol n’est pas qu’une surface imperméable qui empêche l’accès des plantes à la fois à l’air, la lumière et aux minéraux du sol. C’est aussi un changement de la physionomie du sol par compactage.


Nous avons a l’impression, lorsque l'on place de beaux arbres entre les parkings en épi dans leur petit carré de terre pleine, que c’est juste bien d’avoir pensé à mettre des arbres. Mais il ne faut pas se leurrer, ces arbres là sont mal lotis et ne vivront pas vieux. Ils sont isolés et n’arrivent pas à étendre leurs racines pour subvenir à leurs besoins de stabilité, de nourriture, mais aussi de communication.

Sachant ce que l’on sait aujourd’hui sur les connexion racinaires entre les individus d’une même espèce, les conditions que l’on concède aux arbres en ville sont à reconsidérer. Les arbres sont indéniablement excellents pour notre bien-être, pour de multiples raisons physico-chimiques. C'est par conséquent très ingrat de les traiter comme de la décoration. Même l’élagage des arbres est critiquable car les plaies peuvent être envahies par la moisissure.

En tant que concepteurs on devrait donc toujours avoir à l’esprit que ce sont des êtres vivants et non des sculptures vertes. Il faudrait a priori les faire pousser dans une terre pleine continue, éloignée des infrastructures et bâtis qu’ils pourraient gêner en grandissant.



Avant toutes mes recherches sur l’archéologie et la biologie, voilà à peu près à quoi correspondait ma vision du sol (j’ai volontairement un peu forcé le trait).



Et ici, c’est une coupe de principe hors d’échelle bien sûr mais on voit que c’est déjà un peu plus riche même si c’est encore très vulgarisé




L'architecte peut proposer autre chose que, simplement, des mètres carrés. Mais ce n’est pas ce que les gens demandent la plupart du temps. Parce que l’idéal de la maison rime trop souvent avec grandes surfaces habitables. Il s'agirait de requestionner les schémas prédéfinis et offrir d’autres possibilités tout aussi séduisantes.



Voici un premier exemple d'architecture contemporaine qui fait écho à notre propos : le Pôle culturel de Cornebardieu. C'est un programme très étendu avec de grandes hauteurs et de grandes portées. Et pourtant le sol est relativement épargné.



Une deuxième référence ici avec l'espace archéologique de Daroca. L'architecture procède à un enrichissement de la carte mentale de la ville par la mise en exergue de mémoire in situ du sol. Les espaces des vestiges y sont en dialogue direct avec des lieux de vie aux usages différents.



Il est possible de procéder à une phytoépuration des eaux pluviales polluées. Le soin du sol par le sol.

Mais il faut veiller à ce que ces jardins de pluie, favorable au développement d'une certaine biodiversité, ne mettent pas en péril la biodiversité existante. Les arbres sont de discrets mais formidables réceptacles pour la biodiversité. Et la plupart ne tolèrent pas d'avoir leurs racines régulièrement inondées car cela finira par faire pourrir leurs racines. Et ce peu importe la profondeur d'implantation du dit jardin. Sous nos latitudes, ce sont les saules et les aulnes qui sont à l'aise les pieds dans l'eau.

On a souvent ce problème avec les végétaux. On se dit que c’est ravissant et écologique, et l'on fait l’impasse sur le fait que ce sont des êtres vivants sensibles aux changements de leur environnement, très éloignés génétiquement les uns des autres et avec des besoins tous aussi différents.



La bonne volonté ne suffit pas à faire un projet favorable à la biodiversité. On peut avoir de très bonnes idées mais détruire plus de choses qu’on en crée par maladresse. Il faut aussi savoir ce que l’on fait et donc s’informer un minimum en mettant les pieds dans le vaste monde des choses que l’on défend.


Pour faire de la construction respectueuse du sol et de la biodiversité, on a besoin de spécialistes c’est certain. Mais tout comme l’architecte a toujours dû avoir conscience des bases de la charpente et de la maçonnerie, si aujourd’hui la biodiversité devient une matière du projet, l’architecte doit s’y intéresser aussi pour pouvoir la coordonner au sein de l'ensemble du projet.


Mon objectif professionnel est d'apprendre des tas de choses et de m’entourer de gens qui en savent encore plus que moi.




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